GIGA-I3

L’épitranscriptome ARNt aurait un rôle régulateur dans l’immunité et l’hématopoïèse



On sait que l'expression des protéines constituant nos organismes est très étroitement régulée à de nombreux niveaux. L'abondance des différentes protéines est notamment régulée via la transcription des gènes codant pour leur ARN messager (ARNm) et ensuite via la régulation de la demi-vie des protéines formées. L'expression de nombreuses protéines est également régulée de façon plus subtile, mais non moins biologiquement importante, par le contrôle de la traduction des ARNm via différents mécanismes moléculaires dits "traductionnels". Il a ainsi été récemment montré que de nombreux ARNm sont la cible de modifications chimiques catalysées par des enzymes dédiées, qui régulent en conséquence leur traduction. Une abondante littérature commence ainsi à décrire le rôle de ce qu'on appelle actuellement l'épitranscriptome ARNm (soit les modifications des ARNm) dans les processus biologiques normaux et pathologiques.

Les ARNm ne sont cependant pas les ARN les plus modifiés au sein de nos cellules. La "palme" des modifications revient sans conteste à une autre famille d'ARN essentielle à la production de protéines: les ARN de transfert (ARNt). Les ARNt permettent la traduction des protéines en "appariant" au sein des ribosomes les codons des ARNm avec leur acide aminé correspondant. Les ARNt peuvent faire l'objet de quasi une centaine de modifications distinctes, catalysées par une machinerie impliquant des centaines de protéines. Le rôle biologique de ce vaste "épitranscriptome ARNt" commence à peine à être étudié chez les mammifères mais il est déjà clair que l'épitranscriptome ARNt est très important dans des processus biologiques centraux tels que l'embryogenèse, le développement cérébral ou encore le cancer, comme montré par différentes publications notamment du Pr Chariot et des Dr Close, Malgrange et Nguyen du GIGA.

Deux nouvelles publications de chercheurs du GIGA contribuent aujourd'hui à étendre le périmètre d'action de l'épitranscriptome ARNt aux champs de l'immunité et de l'hématopoïèse. Pour mettre en évidence ce rôle, les auteurs se sont tournés vers des modèles de souris transgéniques présentant une perte, sélective dans certaines cellules, d'un enzyme modifiant spécifiquement de nombreux ARNt, appelé Elp3 (sous-unité 3 d'Elongator). Dans une première publication (1), les auteurs montrent que la perte d'Elp3 dans les lymphocytes T, acteurs centraux de l'immunité adaptative, réprime sélectivement la différenciation des lymphocytes T en lymphocytes dits T auxiliaires folliculaires (TFH). Ces lymphocytes TFH étant importants pour aider les réponses anticorps, les souris transgéniques présentaient des réponses réduites à la vaccination, mais restaient capables d'éliminer le virus de la grippe ou de développer des allergies.

Dans la seconde publication (2), les auteurs ont invalidé Elp3 dans les cellules souches hématopoïétiques (CSH) de la souris. Les CSH sont responsables de la production de nos cellules sanguines et d'une large partie de nos cellules immunitaires tout au long de notre vie. La perte d'Elp3 conduit une majorité des cellules-fille des CSH à se suicider lorsqu'elles doivent entrer en différenciation, les empêchant de donner naissance à des cellules sanguines et immunitaires matures. Ainsi, les souris déficientes pour Elp3 dans leurs CSH développent une anémie importante rappelant certaines maladies sanguines humaines. La raison du suicide des cellules transgéniques en cours de différenciation semble liée à la perception d'une menace de cancérisation. En effet, le suicide des cellules n'exprimant pas Elp3 est entièrement contrôlé par le suppresseur de tumeur p53. De plus, les souris déficientes pour Elp3 dans leurs CSH développent spontanément des lymphomes/leucémies ayant muté p53. En soutien d'une transférabilité de ces résultats à l'hématopoïèse humaine, des mutations affectant un autre enzyme agissant dans la même voie de signalisation qu'Elp3 ont très récemment été identifiées comme une cause probable d'hématopoïèse clonale chez l'homme, un processus pré-leucémique.

Que ce soit dans les lymphocytes T ou les CSH, il semble que la perte des modifications catalysées par Elp3 soit perçue par les cellules comme un problème métabolique majeur, entrainant l'activation d'un régulateur central du stress métabolique appelé Activating Transcription Factor-4 par des mécanismes non-canoniques. Ces résultats laissent ainsi à penser que si l'épitranscriptome ARNt joue un rôle direct dans la traduction des ARNm, il est aussi intégré à des voies de signalisation cellulaires, et qu'il joue par ce biais des rôles régulateurs importants dans l'immunité et l'hématopoïèse.

 

Références

(1) Loss of the Transfer RNA Wobble Uridine-Modifying Enzyme Elp3 Delays T Cell Cycle Entry and Impairs T Follicular Helper Cell Responses through Deregulation of Atf4, Lemaitre P, Bai Q, Legrand C, Chariot A, Close P, Bureau F, Desmet CJ, J Immunol, 2021, 206, doi: 10.4049/jimmunol.2000521

(2) Loss of tRNA-modifying enzyme Elp3 activates a p53-dependent antitumor checkpoint in hematopoiesis, Rosu A, El Hachem N, Rapino F, Rouault-Pierre K, Jorssen J, Somja J, Ramery E, Thiry M, Nguyen L, Jacquemyn M, Daelemans D, Adams CM, Bonnet D, Chariot A, Close P, Bureau F, Desmet CJ, J Exp Med, 2021, 218:3, e20200662

 

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Christophe Desmet

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