Publication dans Nature

Le génotype influence la composition du microbiote intestinal



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Il est de plus en plus reconnu que notre santé et bien-être dépendent de la qualité de la relation symbiotique que nous entretenons avec nos multiples flores, dont le microbiote intestinal. Entre autres bienfaits, celui-ci prédigère certains de nos aliments, nous procure des vitamines et nous protège d’infections par des micro-organismes pathogènes. La composition du microbiote intestinal diffère considérablement entre individus. Ceci est dû à des facteurs individuels tels que l’âge et à des facteurs comportementaux et environnementaux dont l’alimentation.

Une question qui taraude les scientifiques est l’effet de la génétique de l’hôte sur la composition du microbiote intestinal. Serait-il possible que nos gènes déterminent notre microbiote et que celui-ci détermine notre santé ? En d’autres termes, quelle part de la prédisposition héréditaire aux maladies est déterminée par notre microbiote ? Jusqu’à présent les études réalisées chez l’homme ont plutôt été source de confusion. Mis à part l’effet clair des variants génétiques qui permettent à certaines populations (dont les Européens) de boire du lait frais après le sevrage (persistance de la lactase intestinale) et réduisent l’abondance de Bifidobacterium, aucune des multiples associations rapportées ne s’est avérée reproductible. Cela est probablement dû à l’impact limité de la génétique sur la composition du microbiote intestinal de l’homme, et à… un manque de rigueur statistique.

En 2019, Michel Georges et Carole Charlier ont obtenu une bourse du programme Chinois “One Thousand Talents” leur permettant de collaborer pendant trois ans avec le Professeur Lusheng Huang de l’Université Agronomique de Jiangxi à Nanchang. Au cours des dix dernières années Lusheng Huang a construit un pedigree remarquable constitué de milliers de cochons dont le génome a été complètement séquencé et qui ont été caractérisés pour des centaines de phénotypes divers dont la composition du microbiote.    

En travaillant principalement avec une post-doc (Hui Yang), et trois doctorants (Jinyuan Wu, Yunyan Zhou and Yifeng Zhang) de Nanchang, Michel Georges, Congying Chen et Lusheng Huang se sont attelés à étudier l’effet de la génétique sur la composition du microbiote intestinal. L’équipe a d’abord démontré que dans ces conditions de variations génétiques exacerbées (des différences génétiques plus prononcées qu’entre homo sapiens et homo neanderthalensis) et dans un environnement fortement contrôlé, la composition du microbiote est bien « héritable ». Ils ont ensuite identifié un locus dans le génome affectant fortement l’abondance d’un groupe de bactéries de la famille des Erysipelotrichaceae. Les auteurs ont démontré que le variant génétique responsable de cet effet est une délétion dans le gène qui chez l’homme sous-tend le groupe sanguin ABO. La délétion génère un allèle équivalent au type O chez l’homme, alors que l’autre allèle correspond au type A.    

Comment un groupe sanguin peut-il affecter le microbiote ? L’allèle A code pour une glycosyltransferase qui rajoute un sucre, appelé GalNAc, à diverses glycoprotéines. L’allèle O a perdu cette activité. Alors que le gène ABO est principalement connu pour ses effets sur les globules rouges du sang, un de ses principaux substrats est le mucus qui borde notre barrière intestinale.  Les humains et cochons de type A ont un mucus plus « sucré » que ceux de type O. En effet, l’équipe a montré par spectrométrie de masse que la concentration intestinale de GalNAc est deux fois supérieure chez les cochons de type A que ceux de type O, et – en utilisant une approche statistique originale – que cela entraîne l’augmentation de l’abondance d’une souche particulière d’Erysipelotrichaceae.  

Les auteurs ont alors spéculé que les bactéries affectées par le groupe sanguin AO devaient être capable d’utiliser le GalNAc comme source de carbone. Ces bactéries se plairaient donc mieux dans un environnement intestinal de type A que O. Hui Yang et Jinyuan Wu ont isolé ces bactéries et séquencé leur génome ainsi que celui de 3,000 autres bactéries intestinales. Il s’est immédiatement avéré que les bactéries sensibles aux groupes sanguins avaient la particularité  génomique de disposer de l’ensemble des gènes requis pour importer puis cataboliser le GalNac, une caractéristique qui n’est partagée que par 3% des autres bactéries. Cette prédiction bioinformatique a été confirmée en alimentant les bactéries avec du GalNAc marqué au 13C  et en démontrant l’incorporation de celui-ci dans des métabolites de la glycolyse. 

Ceci étant dit, 3% de 3,000 représentent encore beaucoup de bactéries. Pourquoi celles-là ne semblent-elles pas affectées par le type sanguin ?  E. coli par exemple a la capacité d’utiliser le GalNAc. Une analyse plus détaillée des génomes offre une explication possible. Chez E. coli, les gènes qui codent pour les enzymes permettant le transport puis le catabolisme du GalNac sont localisés l’un près de l’autre et capables de transcription en un messager polycistronique unique sous le contrôle d’un répresseur du GalNAc : E. coli ne transcrit cet opéron qu’en présence de GalNAc dans le milieu. Par contre, chez les Erysipelotrichaceae sensibles au type AO, les gènes correspondants sont répartis sur une zone 5x plus grande, sur les deux brins d’ADN, et sans trace de répresseur. Ceci suggère que leur opéron GalNAc n’est pas inductible, ce que les auteurs ont vérifié expérimentalement. Cela a amené ceux-ci à reformuler leur hypothèse : il est plus vraisemblable que ces Erysipelotrichaceae soient pénalisées chez des animaux de type O car transcrivant et traduisant des messagers inutiles.    

Nous avons clairement le système de groupe sanguin ABO en commun avec les cochons. Pourquoi ce « QTL de microbiote » n’a-t-il pas été détecté chez l’homme ? La raison en est probablement que les études effectuées jusqu’à présent chez l’homme l’étaient dans des populations citadines. Or le groupe des Erysipelotrichaceae sensibles au type AO est quasi absent dans les intestins de ces populations. Par contre, ces bactéries sont bien présentes dans des populations qui vivent au contact d‘animaux domestiques, comme des populations de pastoralistes en Afrique et en Amérique du Sud.  Cela suggère fortement que si des études d’association étaient réalisées dans ces populations, le même effet serait découvert chez l’homme. Il est à noter que le polymorphisme ABO humain est vieux de   plus de 10 millions d’années car les mêmes allèles ont été observés chez des singes de l’Ancien Monde. Ce polymorphisme balancé est vraisemblablement dû aux effets de ces allèles sur la sensibilité à divers agents pathogènes (dont le COVID). Les auteurs démontrent le même phénomène chez les suidae. L’allèle porcin O est quant à lui vieux de plus de 3 .5 millions d’années, peut-être même plus de 10 millions d’années.   

Cette étude est probablement celle qui démontre de la façon la plus convaincante, toutes espèces confondues, l’effet du génotype de l’hôte sur la composition de son microbiote intestinal. En outre, et de façon unique, elle fournit une explication des mécanismes moléculaires qui sous-tendent l’association observée.    

  

Source

ABO genotype alters the gut microbiota by regulating GalNAc levels in pigs

Hui Yang, Jinyuan Wu, Xiaochang Huang, Yunyan Zhou, Yifeng Zhang, Min Liu, Qin Liu, Shanlin Ke, Maozhang He, Hao Fu, Shaoming Fang, Xinwei Xiong, Hui Jiang, Zhe Chen, Zhongzi Wu, Huanfa Gong, Xinkai Tong, Yizhong Huang, Junwu Ma, Jun Gao, Carole Charlier, Wouter Coppieters, Lev Shagam, Zhiyan Zhang, Huashui Ai, Bin Yang, Michel Georges, Congying Chen & Lusheng Huang

Nature, https://doi.org/10.1038/s41586-022-04769-z

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